Après la relecture des Misérables, voici une petite série de trois « Lus (ou vus) pour vous » que j’avais publiés au cours de l’année sur Facebook, au fur et à mesure de mes lectures. Ils sont placés ici, dans ce chapitre « A propos du livre », car ils sont surtout l’occasion d’un comparatif stylistique ou thématique avec Les Mystères de Paris. Mais vous pouvez aussi aller directement vers les articles sur Eugène Sue.
Donc, passé ce préambule, voici Les Drames de Paris de Pierre-Alexis de Ponson du Terrail, publié en 1857, sorti en décembre 2024 en 10/18 avec de bien jolies couvertures (un peu comme celles des Mystères de Paris) et chroniqués fin décembre 2024.

Ponson du Terrail, surfant sans vergogne sur le titre, le succès et de nombreux personnages iconiques de l’oeuvre d’Eugène Sue, imagine l’histoire de deux demi-frères ennemis incarnant sans nuance le mal (Andrea) et le bien (Armand). On reconnaît aisément dans Armand l’influence du preux Rodolphe de Gerolstein mais ce sont surtout les personnages secondaires archétypiques des Mystères de Paris que pille allègrement Ponson du Terrail : honnête grisette et vilaine courtisane, clerc de notaire et fonctionnaire véreux, ancien bagnard et repris de justice, concierge bavard… Le début du feuilleton est agaçant avec plusieurs personnages laissés pour mort et qu’on retrouve finalement vivants. Ponson du Terrail utilise aussi de nombreux et grossiers hasards qui remettent les personnages dans le sillage de son intrigue, souvent compliquée et invraisemblable.
En revanche, l’écriture est efficace, sans les digressions morales ou politiques d’Eugène Sue qui témoignaient cependant de la générosité et de l’engagement de son auteur, comme on le lira bientôt. De toutes façons, Ponson du Terrail n’est pas du tout du même bord politique que Sue.
Au milieu du second tome, on voit apparaître le jeune Rocambole – qui sera le héros de neuf autres romans. Symbole de l’énorme succès de son auteur, ce nom propre (comme celui de Madame Pipelet) donnera naissance à l’adjectif “rocambolesque” (= plein de péripéties extravagantes).
On trouve aussi, dans ces Drames de Paris, un certain nombre de références intéressantes sur Paris, dont une fameuse clinique pour fous, la “Clinique du docteur Blanche” à Montmartre, dans laquelle a été interné Gérard de Nerval, comme je viens de l’apprendre dans… la série L’armée des Romantiques (chroniquée ci-dessous) ! Et dans le genre ramification, signalons que les méthodes du docteur Blanche étaient inspirées des théories de Pinel, dont je parlerai dans cet article !
Ce qui est franchement désagréable dans le livre de Ponson du Terrail ce sont les personnages de femmes : grisette un peu simplette, demi-mondaine facilement vénale, bourgeoise mal mariée, fille de famille ingénue, vieille femme cruelle… les jeunes femmes étant systématiquement convoitées sexuellement par des hommes sans aucun scrupule. Pas très Metoo, tout cela, mais instructif sur l’époque, j’en reparlerai.
En bref, Les Drames de Paris se laissent lire facilement par les amateurs de curiosités. Mais que de nombreux critiques rangent Sue avec les feuilletonistes tels que Ponson du Terrail me hérissent quelque peu !
Alors, encore et toujours, réhabilitons le bon Eugène !
Autre chose : vu pour vous cette semaine sur Arte : ”L’Armée des Romantiques”, réalisé par Amélie Harrault : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-026018/l-armee-des-romantiques/ (s’il n’est plus disponible sur la plateforme, il doit se trouver aisément en VOD).
Porté par une voix off très très informative mais joliment dite par Cécile de France, L’armée des Romantiques (bof, ce titre, non ?) est une série en dessins animés, à l’iconographie souvent empruntée aux tableaux de l’époque : toutes les références iconographiques un peu connues – peintures, gravures, photographies – y passent (sans être pour autant citées, c’est dommage). L’animation des personnages est très rudimentaire (presque du “posing”, mais ce n’est pas gênant) mais le travail d’homogénéisation de toutes ces sources iconographiques est remarquable. La mise en scène n’est pas toujours révolutionnaire (beaucoup de travellings et de zooms dans les images ainsi que des fondus… C’était la même mise en scène un peu paresseuse dans Les Damnés de la Commune) et le scénario saute, parfois paresseusement, d’un artiste à un autre grâce au commentaire : Dumas, Hugo, Berlioz, Sand, Daumier, Nerval, Delacroix, Balzac, Chopin, Gautier, Hugo encore, Baudelaire, Flaubert, Nadar, Manet et Hugo toujours… Tout le monde y passe là aussi. C’est la mention de l’Histoire du Romantisme de Gautier, publié en 1874, qui met un terme à la série.
On y apprend (ou on révise) beaucoup. C’est très riche mais assez scolaire, ça manque de fantaisie et d’un point de vue original. Mais c’est quand même un gros et intéressant boulot que cette série documentaire : 4 X 48 minutes, il faut imaginer le nombre de dessins qu’il a fallu créer ou revisiter !!
Eugène Sue est présenté rapidement dans le deuxième épisode (à 35’), ainsi que les feuilletonistes, pourtant essentiels à cette époque, et ce malgré la présence de la spécialiste d’Eugène Sue, Judith Lyon-Caen, comme conseillère scientifique. Mais gage de sérieux, donc, pour l’ensemble de cette série !

Crédits photographiques : Les jolies couvertures des deux volumes des “Drames de Paris” publiés chez 10/18 – Capture d’écran de l’épisode 2 de la série d’Arte où l’on voit le retravail de la réalisatrice sur les personnages des “Mystères de Paris”
PS : Il faut croire que le 19ème siècle est à la mode : on signale sur Arte également, une nouvelle adaptation des Misérables.