Amopix & La Curieuse présentent

Adapté par Véronique Puybaret
et Matthieu Dubois

Bicêtre et autres hôpitaux

Voici quelques informations sur l’hôpital Bicêtre et plus généralement sur les hôpitaux au temps des Mystères de Paris. Vaste sujet, comme on peut l’imaginer ! Et on imagine aisément aussi l’épouvantable endroit que l’hôpital pouvait être en 1840 ! (Ça me fait toujours doucement marrer les gens qui disent qu’ils préféreraient vivre dans les siècles précédents). Aussi vais-je essayer d’être synthétique.

Voici ce qu’on trouve dans le livre à propos des hôpitaux et hospices : Plusieurs chapitres du livre (et les épisodes 38 et 39 de la série) nous conduisent à l’hôpital de Bicêtre. Cet hôpital (AP-HP aujourd’hui) existe toujours, sur la petite commune du Kremlin-Bicêtre, entre Ivry et Gentilly.

Voici un long extrait où Eugène Sue décrit le lieu de façon bien optimiste ce jour-là et dans son style de plus en plus engagé (on est bientôt à la fin de la publication) :

« (…) Cet immense établissement, destiné, ainsi que chacun sait, au traitement des aliénés, sert aussi de lieu de refuge à sept ou huit cents vieillards pauvres, qui sont admis à cette espèce de maison d’invalides civils lorsqu’ils sont âgés de soixante-dix ans ou atteints d’infirmités très graves. En arrivant à Bicêtre, on entre d’abord dans une vaste cour plantée de grands arbres, coupée de pelouses vertes ornées en été de plates-bandes de fleurs. Rien de plus riant, de plus calme, de plus salubre que ce promenoir spécialement destiné aux vieillards indigents dont nous avons parlé ; il entoure les bâtiments où se trouvent, au premier étage, de spacieux dortoirs bien aérés, garnis de bons lits, et au rez-de-chaussée des réfectoires d’une admirable propreté, où les pensionnaires de Bicêtre prennent en commun une nourriture saine, abondante, agréable et préparée avec un soin extrême, grâce à la paternelle sollicitude des administrateurs de ce bel établissement. Un tel asile serait le rêve de l’artisan veuf ou célibataire qui, après une longue vie de privations, de travail et de probité, trouverait là le repos, le bien-être qu’il n’a jamais connus. Malheureusement le favoritisme qui de nos jours s’étend à tout, envahit tout, s’est emparé des bourses de Bicêtre, et ce sont en grande partie d’anciens domestiques qui jouissent de ces retraites, grâce à l’influence de leurs derniers maîtres. Ceci nous semble un abus révoltant. (…) Mais revenons à Bicêtre et disons, pour complètement énumérer les différentes destinations de cet établissement, qu’à l’époque de ce récit les condamnés à mort y étaient conduits après leur jugement. C’est donc dans un des cabanons de cette maison que la veuve Martial et sa fille Calebasse attendaient le moment de leur exécution, fixée au lendemain (…) »

C’est en effet de Bicêtre que partaient les condamnés à la guillotine ainsi que les bagnards enchaînés. En 1829, dans Les derniers jours d’un condamné à mort, voici comment Hugo décrit l’endroit : “La voiture noire me transporta ici, dans ce hideux Bicêtre. Vu de loin, cet édifice a quelque majesté. Il se déroule à l’horizon (…) et garde quelque chose de son ancienne splendeur, un air de château de roi. Mais à mesure que vous approchez, le palais devient masure. Les pignons dégradés blessent l’œil. Je ne sais quoi de honteux et d’appauvri salit ces royales façades ; on dirait que les murs ont une lèpre. Plus de vitres, plus de glaces aux fenêtres ; mais de massifs barreaux de fer entre-croisés, auxquels se colle ça et là quelque hâve figure d’un galérien ou d’un fou”.

Aujourd’hui, l’hôpital Bicêtre est toujours un très grand édifice, ou plutôt un ensemble de bâtiments de toutes époques. On peut le visiter notamment lors des journées du Patrimoine. C’est très intéressant, il y a aussi un gigantesque puits et une très belle salle voutée qui servait de réservoir.

Il fut construit, au 17ème siècle, sur les ruines du château de Wincestre (le mot s’est transformé en Bicêtre) et devint un hospice sous Louis XIV, dans un élan général de prétendue charité, intitulé l’ »Hôpital Général”. En fait, la création de l’Hôpital Général n’avait pas grand chose à voir avec son appellation : on y enfermait par la force les mendiants, vagabonds, pauvres, vieillards, prostituées, orphelins, enfants fugueurs, femmes infidèles, vénériens, prisonniers etc., dans des conditions épouvantables. L’Hôpital Général comprenait plusieurs établissements dans Paris, notamment la Salpétrière, ainsi que Bicêtre, donc, à une lieue de la Barrière de la Glacière.

Il y avait paraît-il d’épouvantables cachots noirs, décrits dans ce livre que l’on trouve sur internet : http://jean.dif.free.fr/Images/France/Paris/Bicetre/Bru.pdf

Ce ne sera qu’après la Révolution française que l’on parlera d’”hôpitaux de malades” pour les distinguer des hospices d’indigents. A partir de 1836, les bâtiments de Bicêtre sont rénovés, comme l’écrit Eugène Sue, les prisonniers sont transférés vers la prison de la Roquette, Bicêtre est réorganisé en hospice pour vieillards et en asile d’aliéné, comme on va le voir.

Le site de la ville du Kremlin-Bicêtre nous raconte aussi que : “… Suite à la retraite de Russie de l’armée de Napoléon, en 1812, de nombreux vétérans de l’armée sont accueillis à l’hospice de Bicêtre. Un cabaretier astucieux ouvre alors un établissement appelé « Le Nouveau Kremlin », souvenir de la forteresse moscovite. Le quartier prend progressivement le nom de Kremlin, qui apparaît pour la première fois en 1832, sur une carte d’état-major.” C’est amusant !

Donc, revenons à l’asile où a été enfermé le pauvre Morel, devenu fou à la fin de l’épisode 15. Le Docteur Ferrus, à la suite du célèbre Docteur Pinel, en humanise la prise en charge et ouvrira la voie à Charcot et Freud. Citons à nouveau Eugène Sue, lors de la visite des habitants de la rue du Temple, venus voir Morel :

… Il est impossible de voir sans une profonde admiration pour les intelligences charitables qui ont combiné ces recherches de propreté hygiénique, de voir, disons-nous, les dortoirs et les lits consacrés aux idiots. Quand on pense qu’autrefois ces malheureux croupissaient dans une paille infecte, et qu’à cette heure, ils ont des lits excellents, maintenus dans un état de salubrité parfaite par des moyens vraiment merveilleux, on ne peut, encore une fois, que glorifier ceux qui se sont voués à l’adoucissement de telles misères. Là, nulle reconnaissance à attendre, pas même la gratitude de l’animal pour son maître. C’est donc le bien seulement fait pour le bien au saint nom de l’humanité ; et cela n’en est que plus digne, que plus grand. On ne saurait donc trop louer MM. les administrateurs et médecins de Bicêtre, dignement soutenus d’ailleurs par la haute et juste autorité du célèbre docteur Ferrus, chargé de l’inspection générale des hospices d’aliénés, et auquel on doit l’excellente loi sur les aliénés, loi basée sur ses savantes et profondes observations.”

De fait, il y eut en effet pas mal de progrès dans le soin apporté aux aliénés grâce, à nouveau, aux idéaux de la Révolution Française. Cette évolution est admirablement racontée par Michel Foucault dans Histoire de la folie à l’âge classique publié en 1961.

Il est question d’un autre hôpital dans les Mystères de Paris, totalement disparu en tant qu’hôpital (l’Hôpital Beaujon a été recréé à Clichy): Il s’agit de l’hospice Beaujon où est hospitalisée La Chouette après la tentative de cambriolage de l’allée des Veuves (épisode 4) ; Cet hospice a été fermé en 1937 et transformé en un élégant centre d’animation de la Ville de Paris, du 208 rue du Faubourg Saint-Honoré.

Ici, l’histoire de ce lieu : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hospice_Beaujon

Quant à Fleur de Marie, après sa noyade, elle est hospitalisée dans une salle commune de l’hôpital du docteur Griffon, seulement situé près d’Asnières et décrit ainsi par Eugène Sue : “Rien de plus attristant que l’aspect nocturne de la vaste salle d’hôpital où nous introduirons le lecteur. Le long de ses grands murs sombres, percés çà et là de fenêtres grillagées comme celles des prisons, s’étendent deux rangées de lits parallèles, vaguement éclairées par la lueur sépulcrale d’un réverbère suspendu au plafond. L’atmosphère est si nauséabonde, si lourde…” Rappelons qu’Eugène Sue avait commencé une carrière dans la médecine et savait de quoi il retourne.

Je terminerai ce chapitre en évoquant la grande épidémie de choléra à Paris qui fit 20 000 morts dans Paris en 1832, laissant une cohorte d’orphelins qui se paupérisèrent. Il en est plusieurs fois question dans Les Mystères de Paris : les parents de Rigolette ou du Chourineur, par exemple, en sont morts.

L’évènement est d’importance car c’est à partir de cette épidémie que se mettent en place, peu à peu, les grandes politiques hygiénistes qui permirent à la médecine moderne de se mettre en place au cours de ce 19ème siècle plein d’inventions.

Crédits photographiques :

La petite commune de Bicêtre dans la carte d’état-major de 1818 disponible sur Géoportail, déjà citée ici – Capture d’écran de l’épisode 39 devant l’entrée de Bicêtre. Décor réalisé à partir des gravures des éditions 1843 et 1885, dessins de Daubigny et Tofani – Photo VP de l’entrée de l’hôpital aujourd’hui avec un grand Rodolphe (du temps où la série avait un projet de déclinaison transmedia sur les lieux du roman. Projet peut-être à réactualiser…)- Photos VP de l’Espace Beaujon, rue du Fbg Saint Honoré – Photo VP d’une carte des Hôpitaux de Paris en 1818, photographiée lors des Journées du Patrimoine

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Autres articles