J’évoque dans cet article le personnage de Cecily qui est une métis créole, ce que les illustrateurs ne montrent pas, contrairement à David qui est clairement noir dans les gravures.


Dans un chapitre du début des “Mystères de Paris” (non adapté dans la série), on apprend que David et Cecily furent esclaves en Floride et que Rodolphe, en voyage aux Amériques, les sauva d’un cruel planteur américain et les ramena en Europe. David et Cecily se marièrent mais Cecily, séductrice d’une très grande beauté, trompa son mari, etc. Je vous passe les détails de cette histoire pas super passionnante mais j’en profite pour faire un petit aparté scénaristique :
Même si j’ai respecté 90% de la diégèse des Mystères de Paris, les lecteurs du roman auront remarqué la disparition d’un certain nombre de personnages. Donc, toutes mes excuses aux à ceux qui n’ont pas trouvé place dans notre adaptation et notamment à :
- L’”Abbé Polidori”, personnage compliqué et retors, habitant de la rue du Temple (on le voit cependant dans l’illustration de l’immeuble en coupe), que l’on retrouve régulièrement mêlé aux histoires de Rodolphe jeune homme ou celle du mariage malheureux de Mme d’Harville.
- Le baron De Graün, “chargé d’affaires” de Rodolphe, qui faisait double emploi avec Murph.
- Thomas Seyton, le frère de Sarah, double emploi aussi de Sarah. Ces personnages, par ailleurs sans grande fantaisie, faisaient souvent office d’interlocuteurs pour divulguer des informations au lecteur. Le narrateur, ajouté dans notre adaptation, permet de donner, entre autres avantages, ces informations et ces personnages sont donc devenus inutiles.
- J’ai zappé aussi Bras-Rouge qui est le taulier du Coeur-Saignant et le père de Tortillard. On le trouve dans la plupart des adaptations (voir ma publication du 21 avril), mais ce personnage de tenancier fricotant autant avec la pègre que la police m’a paru un peu inutile à l’histoire principale.
- De petits personnages comme Maitre Boulard, Mont-Saint-Jean (dans les prisons) ou Jeanne, la soeur de Pique-Vinaigre (à l’hôpital), dont les histoires font l’objet de chapitres entiers, n’ont pas trouvé place dans l’histoire générale.
- Il manque enfin une autre sous-histoire où est mêlé Maître Ferrand qui organise une arnaque contre Mademoiselle de Fermont et sa mère, sorte d’histoire à tiroir trouvée dans… le tiroir d’un meuble acheté au Marché du Temple !, enchâssée donc dans le flux du roman, probablement pour en allonger la publication là aussi.
A l’inverse, j’aurais pu couper certains personnages secondaires sans importance comme le facétieux Cabrion. Mais il m’a semblé que ce peintre est l’archétype de la bohème artistique de cette époque. On retrouvera cette bohème dans de nombreux romans (Scènes de la vie de Bohème de Henry Murger – 1851- par exemple), de pièces de théâtre et d’opéra (La Bohème de Puccini – 1896). Par ailleurs, les farces de Cabrion (il y en a beaucoup plus dans le livre) renvoient directement, selon ses biographes, à la jeunesse d’Eugène Sue, étudiant particulièrement dissipé.
Bon, revenons à mon sujet du jour, nettement moins fun mais, une nouvelle fois, si instructif : l’étude du 19ème siècle nous apprend combien les avancées démocratiques ne se font pas en un jour et sont, d’autant plus, un bien précieux.
L’esclavage, donc, fut aboli dans les colonies françaises une première fois pendant la Révolution Française, en 1794. Rétabli sous Bonaparte en 1802, il est définitivement interdit en avril 1848, grâce notamment au militantisme de Victor Schoelcher. Au cours de la Deuxième République, ce dernier, nommé sous-secrétaire d’Etat à la Marine et aux Colonies par François Arago, fait enfin abolir définitivement cette abomination. Schoelcher fait également partie de ceux qui réclamèrent l’abolition de la peine de mort en 1848 (en vain, voir article du 14 juillet).
Comme Victor Hugo et Eugène Sue, il connut aussi l’exil en Angleterre après le coup d’état de Napoléon III. Revenu en France en 1870, il milite à nouveau contre la bastonnade dans les bagnes par exemple. Plus étonnant (et cher à mes oreilles), je lis dans Wikipedia qu’il fut un grand spécialiste de l’oeuvre de Haendel. En revanche, plus fâcheux, je découvre qu’il défendit la colonisation dont l’essor avait commencé vers 1830…
A ce propos, dans “Les Mystères de Paris”, rappelons que Rodolphe achète un domaine en Algérie pour remercier Le Chourineur et y installe également Martial et La Louve. Il n’existe là non plus aucune critique contre la colonisation qui ne choque pas grand monde en ce milieu du 19ème siècle. Rodolphe parle de pays “indompté… exposé à de fréquentes attaques des Arabes” sans autre forme de procès, comme on dit.
Quelques mots encore sur Victor Schoelcher. Le saviez-vous ? Il repose au Panthéon avec son père, ainsi que Félix Eboué.

Il fut un ami très cher de Eugène Sue qui était, comme lui, un ardent défenseur de la cause anti-esclavagiste, non seulement par engagement à gauche mais aussi en tant qu’ancien voyageur : On se rappelle que Eugène Sue, avant d’être écrivain, avait commencé une formation de chirurgien dans la Marine. Il avait ainsi voyagé jusqu’aux Antilles pendant près de trois ans où il fut guéri d’une fièvre jaune par une ancienne esclave.
Son engagement anti-esclavagiste a été très tôt exprimé dans un de ses premiers romans intitulé Atar-Gull, en 1831 (voir cet excellent article de ce bon vieux Henri Mitterand ! https://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_2000_num_117_1_1660 )
Signalons que, même si dans “Les Mystères de Paris” le personnage de Cecily subit tous les clichés de la femme noire de l’époque (“sauvage”, “indomptable” …), David, le médecin noir, est au contraire le seul homme de toute cette histoire à avoir un métier intellectuel important : après avoir été libéré de l’esclavage, il étudie la médecine pendant 7 ans et devient un excellent médecin au service de Rodolphe.

Donc, aucun racisme chez Eugène Sue qui est décidément un type que j’aime bien, on m’aura compris, je crois !
Crédits photographiques : Cecily dans les gravures des éditions 1843 et 1878 (signatures illisibles… et notion du sexisme passablement changée !) – Lithographie par Lavigne de Victor Schoelcher – David dans l’épisode 5 de la série –