On l’a vu ici : tout au long du 19ème siècle, l’image s’industrialise à la faveur de nouvelles techniques de gravure qui facilitent sa production, sa reproduction et sa diffusion en masse, en attendant le 20ème siècle où photographie et cinéma prendront le relai que l’on connaît. (Qui se souvient d’un vieux slogan de Paris Match qui disait “Le poids des mots, le choc des photos” ? A partir de 1850, les journaux comme “L’Illustration” ou “Le Monde Illustré” auraient pu aisément devancer un slogan similaire : “le poids des mots, le choc des gravures” – sauf que ça rime pas, c’est nul mon idée !).
Je lis, dans cet article très pointu de Amy Wigelsworth https://shs.cairn.info/revue-romantisme-2017-1-page-97… qu’Eugène Sue n’était pas enclin à voir illustrer ses Mystères de Paris (et cela me rappelle que Flaubert l’avait entièrement interdit pour Madame Bovary : “Jamais, moi vivant, on ne m’illustrera !”) : l’image était, pour les écrivains, inutile et impure. Elle l’est parfois encore, ou l’a été longtemps, et le cinéma d’adaptation souffrait, il y a peu encore, du même dédain. Je pense par exemple au sort que le jeune François Truffaut fit au fameux duo de scénaristes-adaptateurs Aurenche et Bosc, qui, avant la Nouvelle Vague, adaptèrent, souvent paresseusement, tant et tant d’oeuvres littéraires (Le Rouge et le Noir, etc.). Aujourd’hui, l’appât du gain de la part des éditeurs autant que des producteurs, mais aussi un vrai renouveau de l’exercice d’adaptation de la part de certains réalisateurs, semblent avoir balayé toute défiance et l’on réalise en ce moment, en tout cas en France, de plus en plus d’adaptations littéraires.
Mais revenons fin 1843, au moment où doit sortir l’édition en volumes des Mystères de Paris chez l’éditeur Charles Gosselin (éditeur de Walter Scott, Fenimore Cooper, Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, Honoré de Balzac… !). Je remets ce lien assez rigolo vers la publicité qu’il en fît : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t51362181z/f15.item. Gosselin va donc faire travailler une bonne vingtaine de dessinateurs et « graveurs de reproduction” (pour les noms de ces artistes, nous les avons relevés et cités au générique de la série), sous la direction d’Hippolyte Lavoignat qui devait être suffisamment connu pour qu’il serve d’argument publicitaire. En revanche, le nombre de “300 à 400 dessins” annoncé semble un peu exagéré (quoique je ne les ai jamais comptés), même s’il y en avait beaucoup, assurément, dont plusieurs en grand format particulièrement soignées. La multiplicité des artistes qui sont intervenus sur cette édition fait que la facture de ces estampes est parfois disparate, pas toujours utilisable. Mais les personnages sont particulièrement bien réalisés, restés souvent iconiques ; ce sont surtout eux que l’on a utilisés/réadaptés dans notre série.
Eugène Sue a eu tort de se méfier de ces illustrations, je trouve. Ces estampes ont souvent une sorte de fantaisie qui va très bien avec son style et dont on a joué aussi pour la série (Madame Pipelet et son balai, le Maître d’école et son bonnet à poils longs…)
Par la suite, Les Mystères de Paris furent plusieurs fois ré-illustrés :
– En 1851, par les “stars » de la gravure qu’étaient Staal et Beaucé (ils avaient déjà un peu travaillé pour l’édition Gosselin). Je ne sais pas pourquoi mais on ne trouve pas souvent en vente cette édition ; d’autre part, Matthieu Dubois et moi n’étions pas fans de leur style de gravure.
– Plus intéressante (quoique moins connue également) est l’édition Jules Rouff de 1885, illustrée par le seul Osvaldo Tofani. Ses gravures sont très soignées, très fouillées, mais aussi très sombres. Elles donnent à l’oeuvre une sorte de réalisme assez fort, accentuant ce style déjà présent dans le livre. N’est-ce pas aussi que la littérature naturaliste est passée par là ? Ces illustrations donnent en tout cas au lecteur, dans sa perception immédiate, une image beaucoup plus noire de l’oeuvre, sans à l’inverse dégager la fantaisie baroque du style de Sue. Nous en avons cependant utilisées plusieurs pour notre série.
Je propose dans les images ci-après un petit comparatif de ces éditions pour la séquence “Morel” qui préfigure ce naturalisme. A gauche, les huissiers assez marrants il faut bien le dire (et les comédiens, Roland Osman et Bertrand Chevalier se sont bien amusés à les mettre en voix) de l’édition Gosselin. A droite, l’édition Rouff, nettement plus dramatique avec Morel à genoux :


Notez également le réalisme de la neige sur le toit dans cette autre gravure de Tofani :

– En ce qui concerne les illustrations gravées de l’oeuvre de Sue, on trouve aussi à cette époque des éditions étrangères comme cette édition anglaise de 1845, peu regardante sur les droits d’auteur puisque les gravures sont refaites de façon souvent proches, d’une part, de celles commandées par Gosselin, et, d’autre part, bien moins souvent signées. Matthieu Dubois a néanmoins pas mal utilisé cette édition dans son adaptation graphique et on reconnaitra ici Mme Morel.

Pendant tout ce 19ème siècle, il y a aussi d’autres éditions gravées en Allemagne, Italie, etc. mais nous ne nous les sommes pas procurées. Le nombre est un peu vertigineux et certaines éditions couteuses.
On trouve aussi d’innombrables jeux de carte, gravures publicitaires, jeux de l’oie… Ci-après, une jolie gravure pour annoncer une adaptation théâtrale, publiée dans « l’Illustration » (et trouvée) sur l’indispensable site Gallica/BnF…

… et le magnifique jeux de l’oie réalisé en imagerie d’Epinal (collection personnelle) :

Et pour finir, j’ai trouvé sur internet tout un tas d’illustrations d’éditions publiées au cours du 20ème siècle, au charme désuet :








Crédits photographiques : Deux belles illustrations d’un certain Alain Girard dont je n’ai pas retrouvé trace ailleurs que dans cette édition de 1965 à vendre sur un site internet – Couvertures des éditions R. Simon (1936), Fernand Nathan (1947), et quatre éditions non datées – captures d’écran internet sur le site de vente AbeBooks.
Et pour finir, voici la réédition d’une BD qu’un ami anglais m’a envoyée. Trop bien !!

