Le mot « banlieue » existe au 19ème siècle mais cet article évoque autant les communes alentours et anciens faubourgs (= hors du bourg) de Paris, annexés par la capitale en 1860, que les véritables communes de la banlieue d’aujourd’hui, rurales à l’époque. A propos de ces termes de faubourg et de banlieue, je conseille ce bel article d’Alain Faure qui raconte tout cela très bien.
Aujourd’hui, malgré toutes les tentatives de décloisonnement pour la création d’un Grand Paris, la capitale a toujours pour limite, autant physique que psychologique, le périphérique. La banlieue, c’est toujours et encore « après le périphérique », cette route fonctionnant vraiment comme la dernière enceinte de Paris. (À ce propos, connaissez-vous l’excellente newsletter Enlarge Your Paris, sous-titrée justement « la newsletter qui vous fait oublier le périph' »)
L’enceinte précédent le Périf était celle de Thiers. Construite entre 1841 et 1844, elle fut détruite entre 1919 et 1929. A la place, on traça les boulevards extérieurs et on bâtit autour de nombreux immeubles à loyer modéré qui ont souvent beaucoup de charme, et je conseille à ce propos cette belle étude de l’APUR (décidemment, je les aime à l’APUR !).
Auparavant encore, comme vous le savez désormais, la ville était circonscrite par le Mur des Fermiers Généraux, depuis 1784. Celui-ci fut détruit en 1860, ce qui permit d’annexer, partiellement ou totalement, les 24 communes directement alentour. Donc pendant plus de 20 ans, de 1841 à 1860, pour quelqu’un qui sortait de Paris, il y avait donc un double système de “portes” : celles des Fermiers Généraux puis celles de Thiers. On a du mal à concevoir cela aujourd’hui !
En 1860, avec la destruction du Mur des Fermiers Généraux, la surface de Paris s’agrandit considérablement (double presque), le nombre d’arrondissements passe de 12 à 20, la population parisienne s’accroît de 1,1 millions d’habitants à 1,5 millions. Cet article concis et clair donne de nombreuses informations sur le sujet de l’annexion.
Mais revenons en arrière, du temps des Mystères de Paris (1842-1843). Malgré son titre, l’action du roman se passe plusieurs fois hors de Paris, à Bouqueval, à Asnières, au Kremlin-Bicêtre, à l’Ile-Adam (chapitre non adapté) et il n’est pas rare que les barrières d’octroi soient mentionnées, ainsi que les villages annexés vingt ans plus tard : Ainsi, on traverse les Batignolles, la Chapelle, une partie de Saint-Ouen, le village de Chaillot, de Belleville, etc., tous entourés de champs, de prés, de vignes, de cultures maraichères, de céréales.
Par exemple, au chapitre 8 du livre, Fleur de Marie, honteuse d’être vue au bras de Rodolphe quand il vient la chercher chez l’Ogresse, lui dit : “Allez tout seul… je vous suivrai jusqu’à la barrière. Une fois dans les champs, je reviendrai auprès de vous”. (Mais, comme on le voit dans l’épisode 3, Rodolphe la fait monter dans son fiacre dès le Marché aux fleurs). Autre exemple, quand Germain va chercher son argent pour aider Louise Morel, Eugène Sue écrit cette péripétie (non racontée dans la série) : “Le banquier, par un funeste hasard, était depuis deux jours à Belleville dans une maison de campagne, où il faisait faire des plantations.” La littérature de cette époque est décidément toujours très instructive !
Tout aussi instructif, on lit dans La Curée de Zola (1871) la montée en puissance d’Aristide Rougon qui, petit fonctionnaire à la Mairie de Paris mais ayant accès très en amont aux projets de destructions prévues par Haussmann, spécule sur les indemnités d’expropriation : Il fait rapidement fortune en achetant à bas prix maisons, jardins, petits immeubles des ex-villages autour de Paris (Charonne, Belleville, etc.) pour les revendre, au prix des expropriations, en lotissements entiers.
Ces villages avaient commencé à s’urbaniser dès 1830 du fait de l’arrivée à Paris de nombreux provinciaux qui venaient chercher du travail dans des usines souvent installées aux abords de Paris. La ville se modernise aussi, appelant de la main d’oeuvre ouvrière. Ainsi, par exemple en Creuse aujourd’hui, chaque village a le souvenir des « maçons creusois » qui “montèrent” à Paris pour les grands travaux d’Haussmann ou, déjà auparavant mais à une moindre échelle, ceux de Rambuteau qu’on rencontre bientôt.
Les illustrateurs des Mystères de Paris, dont j’ai parlé plus haut, peignent cette banlieue faites de paysages bucoliques (aujourd’hui, on a du mal à imaginer ces alentours immédiats en grenier de Paris !) souvent signées Daubigny. On connait celle de l’Ile des Ravageurs, voici une autre issue de l’édition Charles Gosselin de 1843.

Toujours à propos de la banlieue de 1840, et puisqu’on voit ci-dessus des moulins, j’ajoute quelques mots sur Montmartre, mon quartier depuis 30 ans. Comme sur les autres buttes de Paris (Chaumont, Belleville, la Goutte d’Or, la Butte aux Cailles…), on y trouvait des dizaines de moulins à vent, les champs alentours cultivant des céréales. A Montmartre, les meuniers vendaient aussi leur vin, non taxés par l’octroi. D’où l’apparition de guinguettes, plus lucratives, tandis que la minoterie remplaça les moulins. En 1842, Hippolyte Bayard (hop Wikipedia) photographie les derniers moulins, vus de la rue Norvins, c’est très beau.

Il reste à Paris quatre moulins, comme l’évoque synthétiquement cet article d’un site que je découvre.
De l’autre côté de la butte, sur le flanc nord de la commune de Montmartre, il y avait des vignes et des prés, puis au 20ème siècle, des sortes de bidonvilles qu’on appelait “le maquis” de Montmartre.

Revenons au roman d’Eugène Sue. Nous avons vu précédemment ce qu’il en était de l’Ile des Ravageurs près du pont d’Asnières. Plus au nord encore, le village de Bouqueval sert de lieu à la ferme modèle inventée par Eugène Sue sur le modèle des socialistes utopistes qu’on a évoqué. L’écrivain connaissait ces lieux car le château de Bouqueval (démoli aujourd’hui) servait de résidence secondaire aux parents d’Eugène. La tombe du père d’Eugène Sue, chirurgien de l’Empire, existe toujours dans cette petite commune, encore un peu rurale, après de Villiers-le-Bel, dans le 9-5 !
Quant au Kremlin-Bicêtre, au Sud de Paris, nous l’évoquons dans cet article plus au sud.
Crédits photographiques : La banlieue nord vers Bouqueval : dessin de Daubigny, gravé par Lavoignat – Les moulins de Montmartre en 1842, vus de la rue Norvins photographiés par Hippolyte Bayard (trouvés sur internet) – capture d’écran d’un extrait d’une carte d’état major trouvée sur Géoportail que l’IGN nous avait gentiment autorisés à utiliser pour notre série et que Matthieu Dubois a habillement mixée pour la série avec le Plan de Girard de 1840. Cette carte est datée de 1818-1824 mais reste un mystère pour moi car on y voit déjà des lignes de chemin de fer qui n’existaient pas à cette époque puisque la première ligne date de 1937. Je pense que ces voies ferrées ont été ajoutées plus tard. Voici le lien vers cette carte, pas facile à trouver : https://www.geoportail.gouv.fr/ « taper IGN-2019-2275 Carte Etat Major 1818-1824 » dans la barre de recherche. Hyper intéressant.