Eugène Sue en exil politique à Annecy

(Cet article est paru sur FB en juin 2024, pendant le fameux festival international d’animation d’Annecy)

Trois raisons de parler d’Annecy :

1- Après ma découverte du roman d’Eugène Sue dans sa version illustrée de très nombreuses gravures (Édition Charles Gosselin de fin 1843, dont on parlera bientôt), le concept principal, une adaptation en animation de gravures des Mystères de Paris a très vite émergé grâce à l’impulsion de Matthieu Dubois (pour ceux qui ont zappé, voir les articles d’introduction). Je ne connaissais pas du tout l’animation et lui ai demandé si on pouvait en faire avec des gravures. Matthieu est graphiste et a une culture anglo-saxonne. Il a tout de suite validé techniquement l’idée et a aussitôt pensé, comme référence, aux animations des Monty Python.

Dans ce super document audiovisuel : https://www.youtube.com/watch?v=IrsKPKjGF_Y, on voit Terry Gilliams dévoiler son travail de réalisation des programmes courts qu’il réalisait avec les Monty Python du temps du “Monty Python’s Flying Circus” (diffusés sur BBC1 entre 1969 et 1974).

Je vous conseille vraiment de regarder cette vidéo. Vous y reconnaitrez d’ailleurs deux emprunts/hommages que j’ai faits dans la mise en scène des Mystères de Paris : épisode 3, avec le clocher de Bouqueval et l’épisode 23, avec le bras télescopique de Martial.

Aujourd’hui, cette technique d’animation dite “papier découpé”, ou “2D cut out”, ne s’effectue plus à la main en image par image (« stop motion »), mais avec un logiciel, After Effect en l’occurrence, après une découpe des éléments sur Photoshop. Patience, j’évoque tout cela aussi dans un article prochain.

J’ai déjà montré la découpe de Rodolphe. Du scan HD du livre, au découpage pour l’animation, voici celle de Madame Pipelet :

Il y a 91 personnages ainsi retravaillés dans la série ! Et encore… ! les lecteurs qui connaissent bien le roman d’Eugène Sue savent que j’ai éliminé plusieurs personnages secondaires ou doublons et un certain nombre de sous-intrigues de ce roman souvent à tiroir (il y a même une intrigue trouvée… dans un tiroir, grâce une lettre récupérée dans un vieux meuble, et qui donne lieu à quelques chapitres du livre).

2- Après la constitution de nombreux dossiers de présentation du projet, nous avons postulé pour un concours de “pitch” (présentation) du projet au Mifa, le marché du Film du Festival d’Annecy ; nous y avons été sélectionnés et nous avons eu le plaisir d’y gagner deux prix (SACD et INA). En ce mois de juin 2014, je me souviens d’un jour franchement radieux, au bord du magnifique lac d’Annecy, dans ce festival trop cool ! Cerise sur le gâteau, c’est là que nous avons rencontré le formidable Mathieu Rolin du studio Amopix qui est devenu l’indispensable coproducteur de notre série.

3- Sans doute étions-nous déjà sous une bonne étoile car… Eugène Sue a passé 6 ans de sa vie à Annecy et est enterré au cimetière d’Annecy-le-Vieux.

Quelques informations sur sa biographie s’imposent :

En 1848, Eugène Sue habite à la campagne, dans le Loiret, et ne participe pas activement aux débuts de la 2ème République. Mais, déjà engagé politiquement à gauche depuis l’écriture des Mystères de Paris, comme nous le savons, il rédige et distribue une gazette gratuite, “Le Républicain des Campagnes”. Il n’est pas élu aux premières élections mais plus tard, lors de législatives partielles en avril 1850. Il siège alors parmi les montagnards et, pourtant sincère dans ses idées de gauche, il a été un piètre politicien comme le retrace ce très remarquable article de Judith Lyon-Caen.

Lors de la nuit qui succéda au coup d’état de Napoléon III, le 2 décembre 1851, il est arrêté avec d’autres députés socialistes, puis relâché (rappelons-nous que, né dans une famille de chirurgiens de l’Empire, il avait eu pour marraine Joséphine de Beauharnais, la grand mère de Napoléon III). Mais il refuse “l’insultante indulgence” – comme le cite la biographie d’Eugène Sue écrite par Jean-Louis Bory – et s’expatrie vers la Savoie, état piémontais favorable aux proscrits de la République française. Il s’établit d’abord chez des amis républicains, puis il loue une demeure, “Les Barattes”, à Annecy-le-Vieux, au bord du lac.

D’autres députés de gauche fuient plutôt vers la Belgique ou l’Angleterre, comme Victor Hugo.

Bien qu’appréciant le paysage, Eugène Sue vit parait-il en reclus à Annecy. On le sait, il correspond avec Victor Schoelcher, reçoit quelques amis, dont Ferdinand Flocon (voici sa fiche sur wikipédia) et surtout a une relation très “forte” (l’ambiguïté demeure, je crois) avec Marie Bonaparte, exilée par son grand oncle à Aix-les-Bains. Attention, il ne s’agit pas de la même Marie Bonaparte qui fit une psychanalyse avec Freud mais cette Marie-Laetitia Bonaparte-Wyse, qui semble être également, selon Bio wikipedia, une sacrée personnalité, injustement oubliée !

A Annecy, Eugène Sue continue à écrire, notamment le feuilleton Les Mystères du Peuple, dont la publication sera souvent interdite. Il y restera jusqu’à sa mort prématurée, le 3 aout 1857, à 53 ans. A sa demande, il fut enterré en “libre penseur”, c’est-à-dire dans une partie du cimetière réservée aux personnes non catholiques. On compta 3000 personnes à ses funérailles qui pourtant eurent lieu très tôt le matin, par crainte de troubles populaires.

Et pour en revenir à l’animation et à Annecy, j’ai eu grand plaisir à travailler dans ce milieu professionnel de l’animation, que je ne connaissais pas.

Crédits photographiques : Capture d’écran de la vidéo “Terry Gilliam’s Do It Yourself Animation Show” – Deux captures d’écran des épisodes 3 et 23 – Lithographie de Jean Champod de la maison d’Eugène Sue à Annecy © Bibliothèque de Genève. Pour info : la maison existe toujours, moins isolée qu’ici évidemment. Le Conseil Général l’a acquise en 2021 mais tergiverse pour savoir quoi en faire. Moi, je sais : une salle de projection des Mystères de Paris évidemment !!

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