Amopix & La Curieuse présentent

Adapté par Véronique Puybaret
et Matthieu Dubois

Le « socialisme utopique »

Sans qu’aucun de ses représentants ne soit mentionné (sauf Saint-Simon, mais pour une citation qui n’a rien à voir avec la philosophie), il est souvent question des théories des socialistes utopistes dans Les Mystères de Paris.

De mon côté, grâce à une remarque du narrateur, je les évoque rapidement dans l’épisode 10.
Mais, même si les sujets philosophiques ne sont pas du tout mon fort, hélas ! je tenais à en parler un peu plus car ces philosophes socialistes utopistes sont méconnus.

Je rappelle que mes articles “Mystères De Paris Enrichis” sont conçus pour tirer et tricoter (j’aime les métaphores “ouvrages de dame” !) les nombreux fils documentaires inclus dans le roman d’Eugène Sue.
Un lecteur du futur trouvera le même intérêt, j’imagine, à lire le roman “Vernon Subutex” de Virginie Despentes, par exemple, tant il est ancré dans Paris et dans son époque.

Mais donc, qu’est-ce que c’est, le “socialisme utopique” ? On trouve aussi le terme de “socialisme romantique”, ou encore “pré marxiste » qui a le mérite de situer historiquement ce courant issu de la Révolution, quoique très généralement pacifique : On est donc principalement au milieu du 19ème siècle.

Voici ces principaux doctrinaires du courant socialiste-utopiste français :

  • Saint-Simon (Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon) (1760-1825)
  • Charles Fourier (1772-1837)
  • Etienne Cabet (1788-1856)
    -Saint-Amand Bazard (1791-1832) et Prosper Enfantin (1796-1864) qui créèrent une sorte de secte qui fut rapidement interdite (Il faut dire, avec des noms comme ça, c’est dur d’être pris au sérieux !)
  • Philippe Buchez (1796-1865)
  • Pierre Leroux (1797-1871), qui fut un ami de George Sand et d’Eugène Sue
  • Constantin Pecqueur (1801-1887)
  • Victor Considerant (1808-1893)
  • Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865)
  • Louis Blanc (1811-1882)…

Tous ces messieurs (aucune femme !) furent plus ou moins engagés politiquement (mais Proudhon va passer 3 ans en prison de 1849 à 1852 et Considerant dut s’exiler après 1851 par exemple), plus ou moins utopistes parfois jusqu’au fumeux et fantasque, plus ou mois chrétien, d’origine bourgeoise ou ouvrière, tous croyant en l’avenir, aux sciences et au progrès, militants pour une meilleure organisation sociale, visionnaire des grandes avancées sociétales…
Ils sont les précurseurs des mutuelles, associations, coopératives, crèches, communautés et autres phalanstères et familistères.

Tous préfigurent le socialisme marxiste, sans la perspective révolutionnaire et la puissante dialectique de Marx (1818-1883) qui les éclipsera, non sans avoir pioché pas mal d’idées chez ces penseurs pacifistes et philanthropes.
J’ai trouvé ces renseignements dans un article (payant) de l’éminent Christophe Prochasson https://shs.cairn.info/histoire-des-gauches-en-france–9782707147363-page-405?lang=fr

  • Wikipedia. C’est évidemment un résumé.

On trouve deux de ces projets philanthropiques chers aux socialistes utopistes dans “Les Mystères de Paris” :

-La ferme modèle de Rodolphe, décrite assez longuement dans le chapitre “La ferme modèle”. Voici un court extrait de la description qu’en fait un travailleur : “(…) bon travail et bon repas, bonne conscience et bon lit ; en quatre mots, voilà notre vie : nous sommes sept cultivateurs ici, et, sans nous vanter, nous faisons autant de besogne que quatorze, mais on nous paye comme quatorze. Aux simples laboureurs, cent cinquante écus par an ; aux laitières et aux filles de ferme, soixante écus !”

-La banque des pauvres (financée par Maître Ferrand et dirigée par Germain, comme il est dit dans l’épisode 35) dont Eugène Sue donne un assez long mode d’emploi : Elle “s’adresse d’abord aux ouvriers honnêtes, laborieux et chargés de famille, que le manque de travail réduit souvent à de cruelles extrémités. Ce n’est pas une aumône dégradante (…) c’est un prêt gratuit qu’il leur offre. (…) Ne pas dégrader l’homme par l’aumône… Ne pas encourager la paresse par un don stérile… Exalter les sentiments d’honneur et de probité naturels aux classes laborieuses… Venir fraternellement en aide au travailleur qui, vivant déjà difficilement au jour le jour, grâce à l’insuffisance des salaires, ne peut, quand vient le chômage, suspendre ses besoins ni ceux de sa famille parce qu’on suspend ses travaux…” Etc.

-Enfin, il faut signaler que dans le tout dernier chapitre du roman, Eugène Sue se mouille franchement en faisant une longue publicité au journal “La Ruche Populaire”, journal écrit par des ouvriers dirigé par Jules Vinçard (1796-1992), autre adepte du Saint-simonisme.

Et, en effet, selon cet article fort documenté et en accès libre “La chair de l’utopie (la vulgarisation de la pensée saint-simonienne dans les romans d’Eugène Sue)” https://books.openedition.org/pul/1421?lang=fr Anne-Marie Thiesse (merci à elle) nous dit que Eugène Sue se réfère surtout à Saint-Simon.
Je signale que, à la fin du roman “La misère des Enfants Trouvés”, (“Lu pour vous”, le 20 décembre 23), Eugène Sue va très loin dans le mode d’emploi d’une communauté agricole et industrielle idéale. Dans son article, Anne-Marie Thiesse nous dit que dans “Le Juif Errant” (autre grand succès de toujours pas lu, par contre) Eugène Sue se réfère aussi à de nombreuses “utopies” de cette époque.

J’ai essayé de lire certains écrits de Fourier, mais ce n’est franchement pas facile.
Donc je m’arrête là en rappelant toutefois (voir mes articles du 24 mars et du 7 avril) que Marx et Engels se moquèrent copieusement de Eugène Sue dans l’article “La Sainte Famille”, un de leurs premiers écrits en 1844, que les curieux trouveront ici en accès libre : https://classiques.uqam.ca/classiques/Engels_Marx/sainte_famille/sainte_famille.pdf
On peut lire également cet article en accès libre : https://journals.openedition.org/contextes/5991

Ça ne m’empêche pas que j’aime bien ces socialistes utopistes parfois farfelus, qu’on a du mal à catégoriser entre philosophes, politiciens, réformateurs… et bien sûr mon bon Eugène !!

Crédits photographiques : Captures d’écran des épisodes 10 et 35

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