Je ne sais pas pour vous, mais moi, je peux passer des heures à regarder des plans, qu’ils soient anciens ou modernes.
Alors, quand j’ai découvert le formidable livre de Pierre Pinon et Bertrand Le Boudet Les plans de Paris, Histoire d’une capitale (éditions Le Passage/Paris Bibliothèque/BNF/APUR), j’ai trouvé passionnantes toutes les notions théoriques attachées à l’étude historique des plans : On y parle des différentes formes de représentations, de hiérarchisations, d’abstractions, de conventions, d’usages, d’objectifs.
On étudie de près échelles, légendes, vignettes et cartouches.
On y distingue les plans anciens “à vue cavalière”, ou “plans portraits”, des “plans topographiques” dits aussi “plans géométraux” qui apparaissent à partir de la fin du 17ème siècle et co-existent, pendant un siècle, avec les anciens plans cavaliers.
Pour palier à l’absence des “portraits” d’édifices, de nombreux plans topographiques du 19ème siècle continuèrent alors à s’illustrer de gravures de monuments que l’on place autour du plan, ou sur le plan ; c’est joli.
Existèrent aussi les plans fonciers à usage fiscal, qu’on appelait jadis des “plans terriers” ; les plans dits de “projets” pour les architectes ; les fameux cadastres napoléoniens et autres cartes d’état-major, à l’origine militaire…
Captivant !
Dès le début du projet d’adaptation des “Mystères de Paris”, l’idée d’utiliser régulièrement une carte de Paris s’est imposée puisque Eugène Sue nous donnait bien souvent des adresses précises, encore existantes ou non, éveillant notre curiosité évidemment.
Je me souviens aussi que, longtemps avant de lire le roman, j’avais été très impressionnée par la découverte du fameux plan de Turgot, une vaste et magnifique carte de Paris, exemple type des plans à vue cavalière.
Il y en a d’autres, assez nombreux, dans le même genre. Ces plans ont parfois plusieurs angles de vues, respectent rarement les proportions entre habitations et rues (sinon, on ne verrait pas les rues) et ont souvent des orientations fantaisistes, généralement l’ouest en bas pour mettre en valeur la façade des principaux monuments de Paris et donner à la Seine un axe vertical symbolique. Les immeubles et monuments sont présentés en axonométrie, sorte de perspective ou de fausse 3D qui aurait été assez amusante à utiliser pour l’animation. Mais le plan de Turgot date de 1739, soit 100 ans avant Les Mystères de Paris, donc il n’était pas question de s’en servir, surtout que la population parisienne s’était considérablement accrue et la ville agrandie en cent ans.


Deux exemples de plans à vue cavalière (ou plan portraits, donc) orientés est-ouest
trouvés dans “Les plans de Paris, Histoire d’une capitale” :
Ci-dessus, détail du fameux et gigantesque plan de Turgot (1739).
En dessous : le plan de Mérian (1615)
Nous voilà donc partis à la recherche d’un plan de Paris pour la série. A partir du 19ème siècle, Il en existera un nombre important, presque un par an semble-t-il, même si, à y regarder de près, il y a plus de copies réactualisés que de plans “matrices”.
Le site wikimedia les référence ici. Il y a des merveilles : https://commons.wikimedia.org/wiki/Chronologic_old_maps_of_Paris
Ce chouette site aussi, dont j’ai déjà parlé, en liste un bon nombre : http://plansdeparis.fr/paris6.php
On a hésité : fallait-il utiliser un plan de 1838, puisque le roman commence à l’hiver 1838 ? Ou au contraire un plan de 1842, puisque Eugène Sue écrit son feuilleton à partir de juin 1842 ?
Nous avons coupé la poire en deux et choisi le plan de X. Girard, “géographe des Postes”, qui date de 1840. On en trouve des versions aussi de 1843 ou 1850, il a donc été plusieurs fois réactualisés. Ce n’était pas forcément le plus beau mais il est très précis et très lisible.
L’idée était enfin d’avoir le plan en très haute définition. Nous avons donc acheté au service reprographie de la BNF une copie en 380 Mo, pour pouvoir zoomer dedans et scroller à volonté.



Récemment (en février 2025), on a beaucoup parlé de la carte de Cassini, établie de 1756 à 1815 par plusieurs générations de géographes de la famille Cassini. C’est l’ancêtre des cartes d’Etat-Major. L’IGN, en collaboration avec la BNF, vient de la numériser. Quel travail ! Il s’agit de la France entière et la carte est composée de 180 feuilles ! Mises côte-à-côte, le plan mesure 12 mètres sur 12 ! C’est fascinant :
https://www.ign.fr/institut/espace-presse/une-nouvelle-version-interactive-de-la-carte-de-cassini-sur-le-geoportail
Autres liens intéressants :
-L’IGN a de nombreuses autres cartes sur son site : https://remonterletemps.ign.fr/
-Si vous voulez connaitre la date de votre immeuble parisien, vous pouvez consulter cet article municipal qui relaie les travaux de l’APUR.
Enfin, je lis – je ne suis donc pas la seule à m’intéresser aux cartes ! – que le récent livre de Vincent Périat intitulé Atlas inutile de Paris (éditions Le Tripode) est un succès de librairie. C’est justifié, car amusant, le livre est loin d’être si anodin. J’adore la carte n°60, intitulée “la visite éclair” retraçant l’unique visite de Paris qu’effectua Hitler le 23 juin 1840. Durée 3 heures !