La Gravure

J’ai déjà raconté comment la découverte des Mystères de Paris dans une version illustrée de formidables gravures est à l’origine de l’adaptation que vous connaissez.

Il s’agissait d’une réédition de la version de l’éditeur Charles Gosselin (vous lirez l’article suivant sur les différentes éditions), dont la première édition sortit fin 1843, peu de temps après la fin de la parution du feuilleton d’Eugène Sue dans “Le Journal des Débats”. Vu l’immense succès de l’oeuvre, Charles Gosselin avait fait richement illustrer le texte, comme on peut le lire dans cette longue et amusante publicité trouvée dans le journal “L’Illustration » du 2/09/1843. Merci Gallica/BnF.

Avant de commencer mon adaptation des Mystères de Paris, je dois dire que je n’y connaissais pas grand chose en matière de gravures. Pour moi, il s’agissait de belles iconographies, souvent avec des points ou des traits, la plupart du temps en noir et blanc, parfois en couleur comme les images d’Épinal qu’on peut voir dans ce merveilleux musée. Elles me rappelaient des lectures d’enfance car il me semble que les livres de jeunesse (Fantomette, Club des Cinq…) étaient plus souvent illustrés qu’aujourd’hui.

Aussi ai-je collecté, depuis pas mal d’années, des informations sur la gravure que je vais tenter de résumer ici. La gravure est une technique ancienne, inventée dès le 15ème siècle peu avant l’imprimerie (1450), mais après le papier (qui lui est nécessaire).

Avant l’éclosion de la photographie, dont je parlerai dans cet article (ou plutôt avant sa reproductibilité dans la presse, c’est à dire après 1910), elle permettait une diffusion en nombre des illustrations.

Aujourd’hui, en revanche, elle n’est essentiellement pratiquée que par des artistes plasticiens (voir ci-dessous un exemple récent).

Le 19ème siècle est le grand siècle de la gravure grâce à l’invention de deux nouvelles techniques : la gravure sur “bois de bout” et la lithographie. Kézako ?

D’abord un peu de vocabulaire :

La gravure est le terme générique de tous les procédés d’inscription d’un dessin sur un support qui permettra sa reproductibilité. On va le voir, il y a plusieurs procédés, plusieurs supports. Une fois encré, le support (on peut dire aussi la matrice) offre la possibilité de tirages plus ou moins nombreux, par pression, sur des feuilles de papier. Ces tirages s’appellent des estampes. Aussi devrait-on parler d’estampes plutôt que de gravures.

Il existe trois grandes techniques :

1/ On entend parler aussi d’eau-forte et plus largement de taille-douce : il s’agit d’une technique sur support métallique (cuivre ou acier). La plaque est d’abord recouverte d’un vernis dur. Le graveur dessine ses motifs avec une pointe d’acier. Puis la plaque est plongée dans un bain d’acide qui “attaque” les parties dessinées. On enlève le vernis puis on encre la plaque ; l’encre se dépose dans les creux. Le papier légèrement humidifié ira chercher l’encre lors de la presse contre la plaque.

Il existe d’autres techniques en taille-douce comme l’aquatinte, ou la manière noire qui donnent de magnifiques dégradés sans hachures grâce à une préparation particulière de la plaque de cuivre. Cet été, j’ai vu cette artiste, Johannes Vandenhoeck, dont j’aime beaucoup les paysages et qui explique son travail sur son blog, ça vaut le coup d’oeil : http://fullframe.free.fr

La taille-douce était une technique plus simple que la gravure sur bois mais on ne pouvait pas introduire ces gravures sur métal dans des journaux ou des livres (sauf à créer des planches à part) ; d’autre part, les matrices en cuivre ne permettaient pas beaucoup de tirages.

2/ La lithographie (sur pierre = litho), inventée au début du 19ème siècle, a permis des tirages beaucoup plus importants. Sur une pierre calcaire rendue très lisse, on dessine avec un crayon gras. L’encre grasse entre dans la pierre. Quand l’oeuvre est terminée, une gomme fixe le dessin. La pierre est mouillée et les parties non dessinées se couvrent d’une pellicule d’eau. L’encre est appliquée sur la pierre avec un rouleau. Les parties grasses dessinées attirent et retiennent l’encre. On peut alors poser une feuille de papier sur la pierre puis passer l’ensemble sous une presse.

La chromolithographie permettait d’introduire la couleur avec la fabrication de plusieurs pierres avec des couleurs différentes.

Les grandes maisons d’imageries à Épinal utilisaient de leur côté des pochoirs métalliques qui rendaient leurs images si spécifiques et jolies.

3/ Tout au long du 19ème siècle, la lithographie a coexisté avec la traditionnelle gravure en relief, sur bois : le graveur esquisse son dessin sur la planche puis creuse, avec un burin (ou gouge) autour de chaque trait. La surface est encrée au rouleau sur les parties saillantes, les parties gravées dans la surface du bois correspondent aux blancs. Les niveaux de gris sont réalisés grâce à des hachures parallèles, ou croisées ou des points plus ou moins espacés.

La gravure en relief était un art difficile mais la technique du « bois de bout » l’avait considérablement améliorée au début du 19ème : Il s’agissait d’un bois de buis très dur, utilisé dans sa “perpendicularité” ce qui permettait une grande précision. Le bois tolérait une bonne pression des presses et un très bon rendement. On pouvait réunir plusieurs sections de bois pour faire de grandes estampes.

Je vous conseille vivement cette bonne explication en vidéo d’Eric Dodémont. Bravo et merci à lui pour ses recherches et explications.

Cet article de Jean-François Tétu permet d’apprendre comment et quand la gravure fut introduite dans la presse, permettant l’éclosion des journaux très imagés tels que “L’Illustration » ou “Le Magasin Pittoresque” ; très intéressant !

Revenons pour finir aux gravures de l’édition originale des Mystères de Paris. Elles sont presque toujours signées d’un dessinateur et du graveur, bien souvent Hippolyte Lavoignat.

On parle là de « gravures de reproduction”, le graveur n’étant pas l’auteur du dessin original. Certains de ces dessinateurs ont eu une belle carrière, comme Daubigny ou Daumier, qui débutaient. D’autres sont connus pour avoir illustré de nombreux romans de l’époque, comme Staal ou Diolot.

Dans l’édition des Mystères de Paris, la plupart de ces illustrations sont en “vignettes » (au-dessus ou entourées de texte) ou en “culs de lampe”, en fin de chapitre mais il y a aussi des eaux fortes magnifiques réalisées sur une page seule. En voici deux :

Pour cette dernière gravure, je ne résiste pas à présenter le travail préparatoire à l’animation (épisode 1) réalisé par Matthieu Dubois. Les parties en rouge sont remplacés par des personnages totalement découpés à part. Les parties en vert bénéficient juste d’un découpage/point de pivot permettant une animation simple. Derrière tous ces découpages, il faut recréer de la gravure derrière. Sacré boulot !

Crédits iconographiques : Un des multiples alphabets des « Cris de Paris », (c) Musée de l’Imagerie d’Épinal – “Graveurs sur bois”, capture d’écran d’une illustration proposée par Eric Dodémont pour sa vidéo – Deux belles estampes des Mystères de Paris dans l’édition Charles Gosselin, disposés sur une seule page (sans doute des taille-douces sur acier tirées à part) ; notez les signatures (dessinateur et graveur) dans les coins – document du travail de Matthieu Dubois.

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