Les adaptations audiovisuelles

Le sujet est peut-être un peu mineur mais, travaillant dans l’audiovisuel depuis longtemps et ayant modestement contribué à cette histoire-là avec notre série, je me devais de faire un article sur les adaptations cinématographiques et télévisuelles des Mystères de Paris.

Et puis, l’abondance des adaptations montre bien encore une fois l’extraordinaire renommée du livre et, au-delà, rappelle combien le cinéma, dès sa naissance à la fin du 19ème siècle (faut-il le rappeler : 1895, avec les Frères Lumière, puis Georges Méliès et tant d’autres précurseurs), s’est emparé de la littérature romanesque du 19ème siècle.

Enfin, le sujet de l’adaptation audiovisuelle m’intéresse particulièrement dans ce qu’il révèle de l’Histoire ; il est évident que chaque nouvelle adaptation, même d’une oeuvre historique, dévoile l’époque dans laquelle elle a été réalisée. Mais là, il faudrait entrer dans les détails (les changements opérés par rapport à l’oeuvre d’origine, les décors, le jeu des comédiens, etc) ce qui n’est pas le format de ces articles.

En attendant, il n’y a pas grand chose, sur Internet ou ailleurs, à propos des adaptations des “Mystères de Paris” mais on est au moins deux à s’intéresser au sujet : grâce au professeur d’études cinématographiques François Amy de la Bretèque (merci à lui et à l’excellent site Media 19), on dénombre pas moins de neuf films et téléfilms adaptés des “Mystères de Paris”. Plus la nôtre, désormais, toujours bien visible sur TV5 Monde Plus, dois-je le rappeler !

Voici les différentes adaptations recensées par François Amy de la Bretèque dans cet article très documenté :

– En 1909 : réalisation de Victorien Jasset (mais on ne retrouve pas cette info sur sa fiche Wikipedia).

– En 1912 : réalisation d’Albert Capellani, considéré comme l’un des pionniers du cinéma.

– En 1922 : Charles Burguet réalise une version sérielle en 12 épisodes (de ? minutes). Signalons, dans ces années 1910/20, l’éclosion des films à épisodes, appelés aussi Ciné-romans. C’est à cette période que furent réalisés notamment les délicieux Fantômas, Judex et Les Vampires de Louis Feuillade qui plurent tant aux surréalistes, ainsi que les Rocambole d’après Ponson du Terrail et autres Vidocq d’après Vidocq.

Signalons que ces films sont évidemment muets puisque le son n’arrive au cinéma qu’en 1929.

– En 1935, Félix Gandera réalise une nouvelle adaptation. A noter que Marcel Cravenne fut son assistant. Quelques extraits trouvés sur internet montrent combien le jeu est théâtral et les comédiens grimés.

– En 1943, fêtant les 100 ans du livre, Jacques de Baroncelli réalise une nouvelle adaptation avec les comédiennes et comédiens Yolande Laffon, Germaine Kerjean, Simone Ribault, Ginette Roy, Marcel Herrand, etc, des prénoms bien de l’époque ! On trouve le film en DVD. L’adaptation est assez libre par rapport au livre, mais habilement faite, avec toutes les grandes scènes, dans une temporalité chamboulée mais cohérente. J’aime bien aussi la référence aux illustrations de l’époque dans le générique.

Curieux et intéressant, François Amy de la Bretèque a étudié comment cette adaptation été tournée en pleine occupation italienne dans les studios de la Victorine à Nice, en recyclant les décors de l’adaptation de La vie de Bohême de Murger réalisée par le grand Marcel Lherbier. Shocking, on note la présence de la flèche de Notre-Dame dans le décor ! (Ils n’avaient pas lu mon article sur le sujet !). Signalons aussi que le livre de Murger, écrit en 1849, reprend des Mystères de Paris les personnages de Rigolette, Cabrion ainsi que le prénom de Rodolphe.

– En 1957, signalons une version franco-italienne de Fernando Cerchio sortie mi-décembre pour les fêtes de fin d’année, que je ne sais pas où visionner. Selon Alligator du site senscritique.com, “c’est gentil” ! Perso, je raffole de cette belle affiche colorée. Le film aussi était peut-être en couleur, qui s’impose peu à peu à partir des années 50 dans le cinéma.

– En 1961, la télévision française à chaine unique recycle à son tour le roman populaire. Là, ce sont les talentueux Marcel Cravenne, à la réalisation et Claude Santelli, à l’adaptation, qui s’y collent.

Rodolphe y est tout mignon avec sa petite moustache et ses frisettes mais Fleur de Marie est un peu plan-plan. Le téléfilm prend son temps, 2h15, avec des références à l’aspect feuilletonnesque notamment dans l’utilisation de certaines gravures de l’édition Charles Gosselin pour chapitrer le film (en noir et blanc). On note une grande fidélité au livre, notamment dans les dialogues, mais plusieurs personnages (notamment les riches) disparaissent. Cette adaptation a dû repasser plusieurs fois car je me souviens l’avoir vue petite et avoir tremblé à chaque apparition de Denise Gence, la Chouette. On notera aussi la présence amusante de Claude Piéplu, la prestation effrayante de la tragédienne Maria Meriko avec ses faux-airs d’Alice Sapritch (et qui jouera aussi dans le film d’Hunebelle), celle du jeune Patrick Lemaître qui joue Tortillard (et deviendra musicien). Remarquons aussi que David, le médecin noir, est pour la première fois à l’écran… noir ! La musique est de Maurice Jarre. C’est à mon avis une des meilleures adaptations, pas gaie, très « sociale », mais qui se termine bien curieusement. Elle est visible sur le site de l’INA.

– En 1962, on peut voir la dernière adaptation au cinéma, réalisée par André Hunnebelle, avec un Jean Marais omniprésent. L’histoire est très loin du livre et le film est franchement daté avec ses bagarres ridicules. Le film est ressorti il y a quelques années en DVD. Passez votre chemin, cela n’a pas beaucoup d’intérêt.

– Enfin, en 1980, est réalisé par André Michel une mini-série pour TF1 (6 x 55 minutes). C’est une coproduction européenne comme on commençait à faire l’époque et qui implique un ou plusieurs acteurs étrangers selon le pays coproducteur. Là, c’est l’Allemagne, ça tombe pas trop mal car Rodolphe de Gerolstein est en effet allemand, mais on assiste médusé à un très long dernier épisode entièrement réalisé à Gérolstein là où le livre ne faisait qu’un épilogue. Signalons une jolie mélodie de Vladimir Cosma, à l’orgue de barbarie. Mais à part ça, cette série est momolle, rasoir, moraliste et absolument pas drôle. On trouve le DVD de cette série dans le commerce mais franchement, c’est poussiéreux. Je me demande même dans quelle mesure cette série n’est pas en partie responsable de la mise au banc des Mystères de Paris à partir de 1980 et pendant de trop nombreuses années !

– En 2020 : en définitive, il n’y a aucune adaptation véritablement emballante des “Mystères de Paris” jusqu’à la nôtre, of course ! – qu’on trouve toujours en DVD chez Capuseen. Le format feuilletonesque en 40 x 3’, se prête bien à l’adaptation du feuilleton, notamment sur internet. Il me semble que c’est aussi la première adaptation un peu rigolote.

En revanche, je recommande vivement l’adaptation réalisée par Raoul Ruiz des Mystères de Lisbonne (un des nombreux “Mystères de…”, comme on l’a vu). C’est un film à la fois romanesque et inventif, comme souvent chez le regretté Raoul Ruiz. L’acteur portugais Ricardo Pereira y est franchement sexy !

Crédits photographiques : Capture d’écran de l’adaptation de Cravenne – L’affiche de l’adaptation de Cerchio trouvée sur internet – photographies VP du DVD de notre série et des Mystères de Lisbonne du regretté Raoul Ruiz

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