Voici commence le premier chapitre des Mystères de Paris (après un petit préambule un peu vétuste et moraliste) :
“Le 13 décembre 1838, par une soirée pluvieuse et froide, un homme d’une taille athlétique, vêtu d’une mauvaise blouse, traversa le pont au Change et s’enfonça dans la Cité, dédale de rues obscures, étroites, tortueuses, qui s’étend depuis le Palais de justice jusqu’à Notre Dame. Le quartier du Palais de Justice, très-circonscrit, très surveillé, sert pourtant d’asile ou de rendez-vous aux malfaiteurs de Paris. (…) L’homme dont nous parlons, en entrant dans la rue aux Fèves, située au centre de la Cité, ralentit beaucoup sa marche…”
Il s’agit du Chourineur qui s’avance vers Fleur de Marie :

Et la formidable histoire inventée par Eugène Sue (1804-1857) va pouvoir commencer !
On le sait, cette rue aux Fèves, comme quasiment toutes les rues de l’île, va être détruite à partir de 1863.
J’ai déjà raconté aussi que ces anciennes rues ont été photographiées par Marville ou gravées par Martial Potémont avant destruction. J’aime aussi cette photographie de Charles Soulier (hop, un petit coup d’oeil à Wikipedia), qui date de 1864.

Tout à fait à droite, derrière une rangée d’immeubles, on distingue un vide : le chantier de la Caserne de la Cité (aujourd’hui la Préfecture de Police). La rue aux Fèves n’existe déjà plus. Sur la gauche, le chantier de l’Hôtel-Dieu, lui, n’a pas commencé (la plupart des photos de Marville concerne cet îlot).
Eric Hazan, dans L’invention de Paris (2002) qui m’avait tant donné le goût de l’histoire de Paris et dont j’ai déjà parlé, cite un extrait des Mémoires du Baron Haussmann de Georges-Eugène Haussmann (1809-1891) publiées en 1890 dans lequel celui-ci raconte le trajet qu’il fait chaque matin pour se rendre à l’école de droit où il a d’abord étudié :
“… Je franchissais le vieux Pont-au-Change que je devais plus tard faire également reconstruire, abaisser, élargir ; je longeais ensuite l’ancien Palais de Justice, ayant à ma gauche l’amas ignoble de tapis francs qui déshonorait naguère encore la Cité, et que j’eus la joie de raser plus tard, de fond en comble – repaire de voleurs et d’assassins, qui semblaient là braver la Police correctionnelle et la Cour d’assises…”
Intéressante, cette proximité entre ces deux textes ! Mais la hargne d’Haussmann (“… que j’eus la JOIE de raser…” !) m’interpelle.
Des deux Eugène, nés à cinq ans d’intervalle dans des milieux aisés, c’est l’auteur des Mystères de Paris que je préfère. Comme tu le sais déjà, lecteur assidu, Eugène Sue prit peu à peu partie pour le petit peuple de Paris, se fit élire député socialiste pendant la courte Deuxième République dont nous parlerons bientôt (1848-1851) et dut s’exiler suite au coup d’Etat de Napoléon III.

L’autre, même s’il a permis à la ville de se moderniser, fut obsédé des lois d’alignement urbanistique, détruisit 60% des immeubles parisiens et servit avec zèle Napoléon III et le Second Empire bourgeois (1852-1870).

Je ne parlerai pas beaucoup d’Haussmann dans ce blog puisqu’il intervient plus de 10 ans après la publication des Mystères de Paris. Et puis, comme Eric Hazan, je ne l’aime pas beaucoup.
PS : Je découvre cet historien Youtubeur, Vincent Delaveau, et vous recommande vivement ses films (pour avoir tenté d’en faire, je sais combien l’exercice est difficile) dont celui-ci, sur le sujet qui nous intéresse dans cet article : https://www.youtube.com/watch?v=eVTNdDx_ORY
Crédits photographiques : Capture d’écran de l’épisode 1 de la série : l’arrivée du Chourineur – L’île de la Cité photographiée par Charles Soulier en 1864 du haut de la Tour Saint Jacques (photo trouvée sur internet) – Photographies VP d’un tableau d’Eugène Sue (1836) de François Gabriel Lepaulle et d’un tableau du Baron Haussmann (1869) de Henri Lehmann au Musée Carnavalet