Le Marché du Temple

Comme nous sommes dans le quartier du Temple, restons-y pour explorer, comme dans l’épisode 14, le Marché du Temple.

Son nom venait de l’Enclos du Temple et c’est intéressant de dire quelques mots de ces grands enclos religieux parisiens. On parlera aussi, dans cet article, de l’Enclos Saint-Lazare où Fleur de Marie est emprisonnée dans l’épisode 19.

Ci-dessous une carte, réalisée par Michel Huard pour l’excellent article de son blog “Atlas Historique de Paris” http://paris-atlas-historique.fr/24.html, nous montre l’emplacement de ces grandes congrégations religieuses qui existaient sous l’ancien régime et qui ont été pillées, détruites ou réquisitionnés en biens nationaux pendant la Révolution de 1789, puis loties. Dans la géographie parisienne, il en reste néanmoins beaucoup de traces, souvent de belles églises, parfois encore des couvents, ainsi que quelques cloitres, c’est très intéressant.

L’enclos du Temple était une de ces grandes propriétés religieuses, appartenant ici à l’ordre des Templiers, un très vieil et important ordre militaire fondé lors des croisades, puis à celui des Hospitaliers, l’ordre des Templiers ayant été interdit. L’enclos, fortifié, formait un carré de 6 hectares au sud de l’actuelle place de la République (qui n’existait pas encore, on le verra bientôt) ; les Templiers avaient aussi de nombreuses terres dans le 11ème arrondissement actuel.

Dans cet enclos (on disait aussi une “commanderie”), il y avait pas mal de bâtiments, plusieurs églises, une foire, un marché, un palais du grand prieur, un donjon. On les voit sur cette magnifique maquette du 18ème siècle conservée au formidable Musée Carnavalet (on voit aussi cette maquette dans le superbe livre « Paris Maquette ») :

Le donjon du Temple fut célèbre pour avoir servi de lieu d’emprisonnement à Louis XVI et sa famille, à partir du 10 aout 1792. Le dauphin y mourut. Transformé donc en prison, ce donjon impressionnant survécut à la Révolution mais fut abattu en 1808 par Napoléon, qui voulait éviter qu’il ne devienne un lieu de pèlerinage royaliste.

L’église et plusieurs bâtiments furent détruits, eux, en 1796. Ne restaient, au moment des Mystères de Paris, qu’une belle rotonde servant au commerce, que l’on voit beaucoup sur les gravures de l’époque, ainsi qu’un drôle de palais/couvent, transformé en caserne puis réattribué, à la Restauration, aux religieuses de « l’Adoration Perpétuelle du Saint-Sacrement” (ça se pose là !). Ce drôle de palais à arcades (qu’on voit à gauche, sur la maquette) fut détruit en 1853 et son jardin fut agrandi, devint square, ce même square qu’on trouve devant l’actuelle Mairie du 3ème construite en 1867, à la place du donjon (matérialisé au sol, devant la mairie, par des clous sur la chaussée).

L’enclos du Temple avait été aussi un lieu de marché et de foire très connus et c’est la partie qui nous intéresse : le Marché et la Foire du Temple avaient perduré sous forme d’un marché d’occasion très prisé dans ce quartier modeste. C’est là que Rigolette emmène Rodolphe faire des achats pour la pauvre famille Morel ; on voit bien encore sur des gravures cette rotonde, plutôt ovale d’ailleurs dont on vient de parler, à proximité des bâtiments du marché.

Les bâtiments de gauche abritant le marché avaient été construits en 1810, avec une belle charpente en bois. Je lis qu’il y eut jusqu’à 1800 boutiques à l’intérieur. Le marché était constitué de quatre carrés spécialisés (habits, chaussures, meubles). Cette autre belle gravure de Daubigny de l’édition Charles Gosselin, nous rappelle donc ce vieux marché. A nouveau, on reconnait au fond la rotonde, avec ses belles arcades.

Entre ces quatre halles et la rotonde se trouvait un « carreau », terre-plein où l’on vendait à même le sol les fripes les plus pauvres. Cet espace n’existe plus mais a donné son nom au quartier et au bâtiment actuels.

Attention, le beau bâtiment en fonte, verre et brique d’aujourd’hui (voir photo plus bas) n’est pas celui de l’époque des Mystères de Paris car en 1862, on détruisit la Rotonde et le vieux marché en bois pour rebâtir six pavillons de ce genre.

Comme on le voit sur cette carte moderne à droite, il n’en reste plus que deux (réunies entre eux). Les autres halles ont été détruites pour laisser place à des bâtiments municipaux (Poste, Commissariat…), de nouvelles rues et des logements. Ce marché continua cependant à être un haut lieu de la fripe parisienne, mais il périclitera dans les années 80. Personnellement, je me souviens d’être allée dans ce lieu qui était presque désert, avant la reconversion en Centre culturel que l’on connaît et qui a permis de sauvegarder, contrairement aux Halles du centre de Paris, ces beaux bâtiments de type Baltard.

Pour les amateurs du texte, Eugène Sue fait une longue description, dans le tome 2, du marché, puis recommence dans le tome 3, lorsque Rodolphe en parle avec Madame d’Harville qui ne connaît pas ce modeste marché. C’est aussi l’occasion pour Eugène Sue de nous décrire la population d’honnêtes artisans ou commerçants de ce quartier du Temple, symbolisée par Rigolette et Madame Pipelet.

Pour en savoir plus sur le marché du Temple,

-L’indispensable wikipedia avec un article assez fouillé ici.

-Le formidable site de l’APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme), qui met gratuitement à disposition toutes ses passionnantes études, un dossier spécial sur le Marché du Temple.

-J’ai déjà parlé aussi du chouette blog “Les Nautes de Paris ». Voici un article sur le sujet.

-Enfin, ce vieux “Des Racines et des Ailes » est pas mal foutu avec une reconstitution en 3D du quartier réalisée par Grez Productions à partir de la minute 26.

Crédits photographiques : Carte des implantations religieuses dans Paris réalisée par Paris Historique, évoquée plus haut ; merci à (c)Michel Huard – Maquette empruntée au (c)Musée Carnavalet – Deux gravures de Daubigny montrant la Rotonde et l’ancien marché à charpente en bois, et deux captures d’écran de l’épisode 14 retravaillées à partir de ces gravures – Plans du quartier du Temple en 1840 (plan de Girard) et aujourd’hui – Photo VP du carreau du Temple un soir de janvier 2021.

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