La presse

Cela semble bien incongru aujourd’hui, mais la plupart des livres au 19ème siècle était publiée d’abord dans la presse.

On trouvait déjà de courtes nouvelles dans les journaux, ainsi que les rubriques (des critiques théâtrales notamment) écrites par des écrivains, mais c’est en 1836 qu’Émile de Girardin, grand patron de presse, va révolutionner les usages : il lance un journal quotidien d’information à moitié prix, comprenant aussi des publicités et des romans. Ceux-ci, saucissonnés quotidiennement, doivent fidéliser les lecteurs.

Ces romans sont généralement imprimés au bas de la première page, au “rez-de-chaussée” dans le jargon des imprimeurs. Ci-dessous, par exemple, on peut lire le premier chapitre des Mystères de Paris dans « Le Journal des Débats », le 19 juin 1842 qu’on peut consulter entièrement ici sur Gallica en page 1 et 2. Et voici le dernier, le 15 octobre 1843, en pages 1, 2 et 3 avec une postface plutôt culottée de la part de Eugène Sue qui exhorte son lectorat à s’abonner à “La Ruche Populaire”, journal écrit par des ouvriers, alors que “Le Journal des Débats” est plutôt un journal conservateur, on en reparlera. Notez par ailleurs en page 4 que, moyennant 35 c., vous pourrez vous faire livrer à domicile sans frais ni pourboire, une botte de foin, ou de paille ou d’avoine – quoique plus chères – en vous adressant à la Compagnie Générale des Fourrages, 27 rue Plumet !) :

C’est ainsi que toute une littérature aux courts chapitres, aux “La suite, demain” et aux cliffhangers va naître : le roman feuilleton, qu’on classera par la suite dans le genre « roman populaire » et ses sous-genres : roman policier, d’aventures, historique, « littérature des mystères” (grâce notamment au succès géant des Mystères de Paris), etc. On assiste aussi à la naissance de personnages prototypiques : justiciers, policiers, super héros, vengeurs masqués, et autres Rocambole, Vidocq, Lupin, Rouletabille… dont Rodolphe de Gérolstein est un peu le père fondateur.

Au 20ème siècle, ces genres romanesques vont être amplement récupérés par le cinéma, la télévision, les jeux vidéo, la BD.

Mais revenons aux années 1840 : tous les nombreux journaux de l’époque vont adopter l’idée à succès d’Émile Girardin (fiche Wikipedia), que voici, photographié par le grand Nadar (itou)…

… et vont faire appel à des écrivains pour publier leurs oeuvres.

Ainsi, la grande majorité des auteurs du 19ème siècle va être publiée dans la presse, y compris ceux qui sont demeurés célèbres comme Hugo, Balzac, Gautier, Dumas, Sand, d’Aurevilly, Flaubert, Zola, Maupassant, Verne, etc

D’autres sont désormais moins connus, moins talentueux sans doute ou n’ayant pas forcément les mêmes ambitions littéraires. Citons-les quand même : Pierre-Alexis Ponson du Terrail (dont nous parlerons ici), Paul Féval, Emile Gaboriau, Frédéric Soulié…

On pourrait dire qu’Eugène Sue se situe un peu entre la première et la seconde catégorie, d’où un a priori critique moins révérencieux, à tort ou à raison, que Balzac ou Hugo.

Enfin, ayons une pensée émue pour une myriade d’auteurs tombés dans l’oubli, comme celui que vous découvrirez bientôt dans cet article. Signalons aussi que les patrons de presse avaient peu de scrupule à interrompre la publication d’un roman-feuilleton qui ne recueillait aucun succès, ce qui devait faire ricaner Sainte-Beuve qui, comme je l’ai déjà dit, traitera ces publications de “littérature industrielle”.

Pour tous ces écrivains, il n’y avait pas de règles et il fallait gagner sa vie : certains publiaient directement pour la presse, tandis que pour d’autres, il ne s’agissait que d’un revenu supplémentaire, précédent ou conjoint à l’édition en volumes ; la pré-publication dans la presse permettait également une publicité pour le livre.

Pour en revenir à la littérature « populaire », je me souviens d’un élève au lycée agricole de Périgueux qui m’a dit, dans une résidence scolaire (voir article suivant) : “Madame, elle est bien votre série, je l’ai regardée avec ma mère, on s’est dit que ça ressemblait à “Plus belle la vie” ! ”. Ô joie !

Enfin, toujours à propos de la presse :

On a du mal à l’imaginer également aujourd’hui, tant la chose est acquise (pour le meilleur ou pour le pire), mais la liberté de la presse (et plus généralement d’expression) est une des préoccupations majeures du 19ème siècle : chacun des nombreux gouvernements qui ont émaillé le siècle la restreindra ou la libérera.

Aujourd’hui, cette liberté est garantie par la constitution. On lira avantageusement ce résumé dans Gallica/BnF qui est décidément un site formidable et gratuit de diffusion du savoir : https://gallica.bnf.fr/blog/03052021/la-liberte-de-la-presse-lepreuve-des-regimes-politiques-1789-1881

A écouter avantageusement aussi : l’exquise Judith Lyon-Caen une émission récente sur France Culture qui parle de cela : https://www.radiofrance.fr/…/les-mysteres-du-roman…

Crédits photographiques : Première épisode des Mystères de Paris dans l’austère journal du 19 juin 1942 trouvé sur le site de la BnF – Photographie de Emile de Girardin par le grand photographe Nadar trouvée Wikipedia – Un petit visuel réalisé par Matthieu Dubois pour les nombreux dossiers de présentation de notre série.

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