Ce qu’on appelle les Grands Boulevards s’étendaient – s’étendent toujours – de la Madeleine à la Bastille, à l’emplacement d’une très ancienne muraille de Paris : l’enceinte de Charles V. Comme on est là très loin de mon corpus, je vous renvoie au bon article de Wikipedia sur le sujet mais j’emprunte cette carte au formidable site Paris-Atlas-Historique de l’indispensable Michel Huard qui illustre clairement mon propos, notamment à l’Est.

A partir de 1670, les fortifications de Charles V sont démolies et les fossés comblés, Louis XIV déclarant ces murailles inutiles. Il fait par ailleurs construire à la place de deux anciennes portes dans le mur, deux arcs de triomphe que l’on connait encore comme Porte Saint-Denis et Porte Saint-Martin.

A l’emplacement des murailles, furent tracées des “cours” (à la mode italienne comme pour le cours La Reine), c’est-à-dire de larges promenades bordées d’arbres et de très belles demeures. On les appellera les « Grands Boulevards ».

Certains fossés de l’ancienne muraille devinrent des rues basses, comme la rue Amelot, anciennement rue des Fossés-du-Temple, ou comme l’ancienne rue Basse-du-Rempart, aujourd’hui disparue. Dans le même genre, avez-vous remarqué les différences de niveaux entre certains boulevards et ses trottoirs ? ou ces rues parallèles parfois surélevées, rue de la Lune par exemple, car construites sur les anciens chemins de ronde ou même sur les gravats de la muraille ?

Si vous voulez en savoir plus, je renvoie vers cet article de Wikipedia très précis.

Ces grands boulevards devinrent un harmonieux et long ruban de flâneries au 18ème et surtout au 19ème siècle. Plus tard, après 1865, Haussmann en changera la physionomie en y créant des ruptures telles que la Place de la République, celle de l’Opéra et plusieurs grands axes qui coupent (boulevards Sébastopol, Magenta, Haussmann…). Par ailleurs, les deux côtés des grands boulevards s’urbanisèrent et se densifièrent grandement.

Aujourd’hui, il ne reste plus beaucoup de ces grands hôtels particuliers qui les bordaient, plutôt à l’ouest, et des innombrables théâtres populaires qui les longeaient, plutôt à l’est.

Eugène Sue connaissait bien les boulevards, lui qui habita, selon ce site, Terres d’Ecrivain, bien documenté, dans son enfance et sa jeunesse près de la Madeleine : rue Cambon, puis rue du Rempart (rue disparue dont le nom fait référence à une autre enceinte, l’enceinte Louis XIII, Wikipedia vous en dira plus, qui agrandissait par l’ouest l’enceinte de Charles V), puis rue Vignon.

Jeune dandy et apprenti écrivain, il fréquentait, comme tous les artistes du 19ème siècle, les grands cafés à la mode – le Tortoni, le Frascati, le Café Riche, le Café Anglais – qui avaient ouvert le long du boulevard des Italiens. Le Tortoni est même un des décors importants de son roman Mathilde (1841) qui le fit connaître avant l’immense succès des Mystères de Paris (1842-43).

Il est un peu question des grands boulevards dans Les Mystères de Paris : Germain, après avoir quitté la rue du Temple, se cache au 11 boulevard Saint-Denis (mais je n’en parle pas dans mon adaptation). Madame Pipelet, à propos de l’appartement du premier étage qu’a fait décorer Charles Robert pour recevoir ses maîtresses, le décrit ainsi à Rodolphe : “C’est beau comme dans un café des boulevards !”.

Mais c’est surtout l’immonde Maître Ferrand, qui apparait enfin à l’épisode 16, qui habite à l’extrémité de la rue du Sentier, donc tout près du boulevard Poissonnière.

On trouve beaucoup de gravures de ces boulevards et notamment celles réalisées par un certain Adrien Provost, qui nous ont servi dans l’épisode 18, quand Rodolphe sort justement de chez Maître Ferrand.

C’est très joli car ces gravures de tous les grands boulevards, de la Madeleine à la République, forment, bout à bout, un long bandeau : un panorama.

Il semble qu’il y ait eu plusieurs versions de ce panorama de Provost, dont l’une, magnifique, en couleurs.

Personnellement, j’étais contente d’en trouver une dans une brocante, pas chère car en noir et blanc et surtout incomplète (il manque 2 morceaux), mais on la trouve entière, en 8 portions, sur le site de la BnF. Ci-dessous, j’ai photographié mon exemplaire, étalé sur mon parquet :

Remarquons-y quelques détails qui nous intéressent par rapport à notre sujet ou d’autres articles :

– Sur la dernière portion du panorama, voyons la Colonne de Juillet, surmontée du Génie de la Bastille (génie = personnification allégorique d’une idée abstraite, selon le Larousse), édifiée à la demande de Louis-Philippe (voir l’article sur la Monarchie de Juillet) pour célébrer et abriter, dans un souci de réconciliation de la nation, les morts de la Révolution de 1830. Par la suite, elle abritera aussi ceux de la Révolution de 1848. Pour plus de détails, on peut se référer au site officiel de la colonne, ou même la visiter le samedi ou le dimanche parait-il.

Sur la droite, on arrive à distinguer l’éléphant, maquette d’un monument voulu par Napoléon et jamais construit, refuge de Gavroche dans Les Misérables que j’ai relu pour vous (et où il question aussi, dans les derniers chapitres, d’une promenade en fiacre sur les Grands Boulevards).

– Je fais aussi un petit focus sur le boulevard du Temple, également appelé Boulevard du Crime (à cause des pièces de théâtre qui se jouaient dans de nombreux théâtres le long du boulevard, où l’alcool était moins cher car au delà du mur d’octroi) pour rappeler le très génial film Les enfants du Paradis de Marcel Carné tourné pendant la guerre au studio de la Victorine (décors géniaux d’Alexandre Trauner). On trouve plusieurs références aux Mystères de Paris que Prévert, le scénariste du film, aimait beaucoup ; et rappelons que Frédérick Lemaître, personnage important du film et comédien réel du 19ème siècle, joua Rodolphe de Gerolstein dans une de ces nombreuses adaptations théâtrales, on en a déjà parlé.

– Enfin, je signale que la place de la République n’était pas encore une place (c’est Haussmann qui s’en chargera). Par contre, il y avait sur le boulevard une grande fontaine servant aussi de château d’Eau, car sur-élevée, qui a été transférée en 1867 à la Villette (devant la Grande Halle).

Pour en revenir aux panoramas de Provost, je signale que tout le 19ème siècle fut super friand de ces (plus ou moins) longs formats panoramiques peints ou gravés. On en trouve beaucoup à cette époque : larges vues de Paris « vues du ciel » ; panoramas des quais de Seine, fresques historiques…

On peignait aussi de très grandes frises panoramiques pour des attractions spectaculaires très prisées, appelées Panoramas ou Dioramas. (cf. Passage des Panoramas à Richelieu-Drouot). On lira cet article de Claude Lamboley très intéressant à ce sujet et notre article suivant aborde également ce sujet.

Crédits photographiques : Carte réalisée par Michel Huard sur son site « Paris-Atlas-Historique » (je conseille aussi sa carte de l’enceinte de Philippe-Auguste qui traversait le Marais, la rue Rambuteau, d’ailleurs. Il existe aussi plusieurs vestiges de cette muraille dans Paris (mais c’était encore moins notre corpus) – Deux extraits du Plan de Girard (1840) : la rue du Sentier (plus courte qu’aujourd’hui) et le boulevard du Temple – Capture d’écran épisode 18 – Bout à bout des éléments de mon Panorama – Gros plan sur la colonne de Juillet – Capture d’écran du Boulevard du Crime dans “Les Enfants du Paris”

En bonus : Photo VP d’un panorama réalisé par l’artiste Lisa Reihana, vu dans une expo à Toulouse en septembre 2018. On trouve un extrait de ce magnifique travail ici : https://www.inpursuitofvenus.com/watch

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