Cet article, publié sur FB pendant la rentrée scolaire 2024, avait été l’occasion de proposer quelques réflexions autour de l’intérêt pédagogique des Mystères de Paris :
Je dois d’abord avouer que je suis une professeure de français contrariée, de celles qui ont eu une super prof au cours de leur scolarité – Bonne pioche, Mademoiselle Carle, au collège des Louvrais de Pontoise ! – et qui aurait aimé rendre la pareille. Aussi, dès l’origine du projet, l’adaptation des Mystères de Paris a eu une vocation pédagogique.
Dans les premiers dossiers de présentation du projet, j’écrivais :
Notre attention, en réalisant cette série, se porte particulièrement sur les jeunes. Nous avons à coeur de rendre l’oeuvre d’Eugène Sue accessible et dépoussiérée en soulignant son efficacité narrative, digne de certaines séries actuelles, en l’animant avec humour et originalité, et en la reliant à la fois à son époque et à la nôtre : il s’agit de donner des clés de compréhension et de plaisir pour ce type de littérature, clés souvent réservées à une élite, et ainsi démontrer que la culture – le patrimoine littéraire en l’occurrence – peut s’aborder de façon ludique et décomplexée.
Dans un récent article de l’excellente newsletter “Le café pédagogique”, Cécile Barth-Rabot, sociologue de la littérature, écrit (dans la lignée de l’ouvrage de la chercheuse Bénédicte Shawky-Milcent, auteure du formidable essai La lecture, ça ne sert à rien !) : “La sacralisation de la Littérature produit chez les élèves indifférence, ennui ou résistance, et chez les enseignantes une réelle souffrance tant échoue souvent le travail d’évangélisation…”. Puis Cécile Barth-Rabot démonte les mécanismes de discrimination sociale et conclut : “Entendons-nous bien : il s’agit de renoncer non pas à la lecture, mais à sa religion. (…) De libérer la lecture du Livre, pour explorer, en production et en réception, de nouveaux supports et formats de création et de partage. Dé-scolariser, dé-littérariser, dé-livrer la lecture, c’est le beau travail d’émancipation qui nous attend”.
En 2007 déjà, le remarquable essai Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? de Pierre Bayard démontrait également l’inutile sacralisation de la lecture. L’auteur rappelait qu’il y a des “livres dont on a entendu parler”, des “livres parcourus”, des “livres oubliés” et des « livres non lus » dont on peut tout aussi bien parler, voire imaginer. Il s’agit là encore de culture et d’émancipation.
Alors, que ce soit dans un cadre scolaire ou non, faut-il lire ou ne pas lire Les Mystères de Paris ?
Le titre est connu mais l’auteur est jugé mineur et populaire. Jadis très célèbre, le livre d’Eugène Sue ne fait plus partie du corpus littéraire nécessaire à une culture mondaine. On s’abstient de la lire. C’est vrai que l’écriture n’est pas ciselée ; le feuilleton fut rédigé presque au jour le jour. Mais nombreux étaient les écrivains de cette époque – et toujours aujourd’hui ! – qui noircissent des pages sans trop se préoccuper de style et encore moins de concision. Et les auteurs d’autrefois avaient quelques raisons : ils étaient payés à la ligne par les journaux qui les publiaient comme on l’a vu dans l’article sur la presse.
Donc, parfois c’est long. Et le livre est épais ! J’en parle dans l’article suivant à propos des Misérables. Il faut aussi parfois faire de la lecture rapide (qu’il faudrait d’ailleurs enseigner alors que, dans l’espace scolaire, le dogme est souvent la lecture intégrale).
Quelque fois, on connait l’oeuvre parce qu’on en a vu une adaptation ciné ou télé. Il fut un temps, pas très lointain, où l’adaptation audiovisuelle était décriée, moins aujourd’hui on dirait (voir article sur les différentes adaptations). Réussies ou non, les adaptations participent malgré tout à cette possibilité de s’approprier des pans de culture.
En écrivant le scénario adapté des Mystères de Paris, Lucile Prin et moi avions souhaitées être plutôt fidèles à l’oeuvre ; mais il s’agissait aussi de s’autoriser, pour le plaisir, à mélanger dialogues relevés textuellement du livre et une langue actuelle et accessible, voire anachronique ; de même, pour les images, nous avons eu envie d’introduire plusieurs incohérences temporelles rigolotes dans les gravures d’origine.
Moi, c’est l’évidence, j’ai adoré lire et relire ce livre. Je me souviens avoir été très vite accrochée car Eugène Sue est un véritable “page turner”, comme on dit aujourd’hui. C’est un des premiers écrivains à utiliser les effets de cliffhanger (chapitre/épisode qui se termine par un effet de suspens) et ça fonctionne drôlement bien !
Le plaisir de la lecture est aussi lié au corps : Je me souviens du lit moelleux dans lequel j’ai lu ce livre, du contentement à regarder des gravures qui me rappelaient les livres illustrés de mon enfance, de l’excitation ressentie à lire certains chapitres formidablement inventifs.
Je raconterai dans cet article comment j’ai trouvé le livre pour la première fois.
En définitive, toutes ces choses sont de l’ordre du plaisir. Et ce qui me plaît le plus dans Les Mystères de Paris, c’est que ce livre, modeste et sincère, l’autorise (Et ça n’empêche pas d’aimer en même temps Flaubert et tant d’autres écrivains…)
Si mon adaptation peut témoigner un peu de ce plaisir, de ce mélange de souvenirs d’enfance, de curiosité, d’étonnement, ce sera gagné. Donc, lire ou ne pas pas lire « Les Mystères de Paris » ? C’est vraiment comme on veut. L’idée est surtout qu’on ne se sente pas pétrifié devant les oeuvres littéraires.
Pouvoir témoigner de ce plaisir de la littérature dans un cadre scolaire a été important pour moi et, depuis 5 ans, je réalise, dans un plaisir partagé je crois, des résidences dans divers établissements scolaires auprès d’élèves de Quatrième, de Seconde et Première Pro, et en BTS. J’interviens en classe de Français, d’Histoire et d’Art plastiques pour un travail pluridisciplinaire où il s’agit d’explorer toutes les facettes de l’oeuvre et surtout de se l’approprier, via divers dispositifs ludiques de recréation : playback, BD, stop motion, jeux. On peut me contacter pour toute information, j’ai « modélisé » ces propositions pédagogiques dans un document à disposition. Je remercie tous les professeures (désolée, ce ne sont que des femmes) qui m’ont fait confiance. Mention spéciale pour Muriel, devenue mon amie par la suite. D’autre part, en juillet 2025, un article, écrit en collaboration avec (mon amie aussi) Bénédicte Shawky-Milcent sera publié dans la revue Pratiques sur ces travaux.
Enfin, ce site « Mystères de Paris… Enrichis » est évidemment à la disposition des professeurs et des élèves.
On trouvera ci-dessous un tout petit aperçu de travaux réalisés par des jeunes lors de résidences scolaires : extraits de BD (avec l’appli BDnF), captures d’écran de films en stop-motion, captures d’écran de films en playback, extrait d’un jeu, photo d’une exposition réalisée par les élèves avec leurs fiches documentaires.








PS : Enfin, voici l’occasion de signaler que TV5 Monde a réalisé aussi une fiche pédagogique autour de notre série sur leur site. Merci TV5 Monde !